Le désormais fameux post « le vendeur de guitare est con » bat tous les records d’affluence et de commentaires de ce blog, explosant le non-moins fameux posts sur l’infâme « Chinese Democracy » de Guns N Roses. On est passé et l’on passe de la masturbation à la métaphysique pour finir (en tous cas à l’heure ou je vous parle) sur le « tone », le « groove » et autres joyeusetés sur lesquelles il est toujours bon de réfléchir. Ah non tiens maintenant c’est les peaux de batterie.
Bref.
A force de ruminer toutes les considérations sur le « tone » lancée par notre bien aimé Rémi «Belle Province » j’en suis venu à me dire ceci :
Okay, le « tone » c’est forcément super important. Le groove aussi, bien sûr.
MAIS (car avec moi il y a toujours un « mais », et dès le CM1 mon surnom donné par les profs était « oui mais ») me suis-je dit : c’est bien beau d’avoir le « tone » de la mort, la gratte qui claque, le jeu qui poutre, l’ampli qui défonce, ça suffit pas.
Parce qu’entre tous ces ingrédients et ton public (ce machin impersonnel fait d’être humains susceptibles d’être touchés par ta musique) il y a un « medium ». Le son, le « tone », n’arrive pas directement à l’auditeur.
Il passe par l’entremise obscure de notre ami à tous : « l’ingénieur du son ».
Car dans une salle de 100 places comme à Wembley Arena ou au Stade De France, c’est lui qui fait en sorte que ton « tone » reste le « tone », et puisse même le magnifier, ou au contraire le rendre aussi infect que le son de gratte qu’il y a sur « Chinese Democracy ». J’aime bien dire et redire de la merde sur cet album, va falloir vous habituer. C’est devenu un espèce de maître-étalon (ou monstre-étalon) dans bien des domaines du mauvais gout et de l’échec total.
Bref j’en étais ou ? Ah oui : entre le jeu du guitariste, lui, sa gratte, son ampli et le « tone », et les oreilles de l’auditeur, il y a l’ingénieur du son et le système de son qu’il est censé contrôler.
Passons sur les systèmes de son en eux-mêmes. C’est tellement sujet à la geekitude extrême qu’il faudrait que je sois sponsorisé par Efferalgan (ou une marque d’amphétamines approuvées par Lance Armstrong) pour espérer pouvoir vous retenir encore quelques lignes. En gros, c’est chiant et t’y comprend rien. Un truc d’initié.
Rabattons-nous donc sur le facteur humain du fameux medium entre TOI et le « TONE » : l’ingénieur du son.
Plusieurs choses à savoir :
- La profession (ou sacerdoce) se divise en deux grands groupe « l’ingé-son studio » et l’ingé-son ‘live ‘ ». Certains (et de plus en plus, cailla$$e oblige) cumulant les deux, avec plus ou moins de bonheur (dans l’un comme dans l’autre comme dans les deux). De façon générale, l’ingé son « live » est plus jeune que l’autre. L’autre a souvent été d’abord ingé-son « live ». IL en a eu sa claque des hôtels pourris, des aires d’autoroute, des remplissages de camions à 3h du matin et a décidé de vivre respectablement loin du stupre et de la luxure (entendez : « 33 exports » tièdes et culs-de-joints du groupe de première partie).
- Ceci étant posé il faut toutefois savoir que l’ingénieur du son n’est en général pas ingénieur du tout. Ou en tous cas pas en « son ». Il peut être ingénieur en biochimie-subaquatique ou en rotation-quantitque-inversée, mais il a trouvé ça trop chiant et s’est dirigé vers le fabuleux monde du spectacle (entendez : « Burgen-Piels » tièdes et culs-de-joints du groupe de première partie). Certes l’ingénieur du son eut travaillé en blouses blanches dans les studios où son rôle était éminemment « technique » au sens scientifique, jusqu’à la fin des années 60. Reportez vous à l’excellent livre de Geoff Eymerick pour avoir une idée de l’ambiance et des tronches de cake qui travaillaient à Abbey Road, avant que les Beatles ne viennent foutre la zone et (là comme sur beaucoup d’autres points) tout révolutionner.
De toutes façons je ne vous parlerai pas (ou si peu) des ingénieurs du son « de studio ».
L’animal qui nous intéresse est l’ingénieur du son « live ».
Cet être né des années 60 ou les premiers gros concerts se sont développés.
Une profession née « sur le tas » et dans l’urgence, ou rien n’a été réellement codifié au sens scientifique du terme. Au comble de l’horreur de ses « vrais » ingénieurs du son de studio et néanmoins collègues qui le prennent toujours un peu de haut. Il ya des castes, comme partout. Et dont on a commencé à en sentir la nécessité criante pendant les premières grosses tournées des Beatles (encore, eh oui). En effet, on n’entendait rien. C’était des vrais rockers durs à cuire les Beatles, et ils jouaient fort pourtant les cocos (c’est même Lemmy de Motorhead qui le dit, donc venez pas me faire chier avec ça). Mais bon … des VOX AC 30 branchés en dérivé direct (en gros :la préhistoire) dans des enceintes de stade (ou de salles « polyvalentes ») en général destinées au messages de type « Une Ford mustang de couleur mauve immatriculée 37864ZJH9 gêne le passage du camion de hot-dogs, le propriétaire est priée de la virer rapidement. » ça le faisait pas vraiment . C’est un peu comme si vous alliez voir Radiohead jouer au Stade de France, branchés sur l’ampli de votre petit cousin qui commence la guitare, avec comme enceintes les « machins » qui crachotent de infos dans les gares SNCF.
Ça pouvait plus durer.
Après je vous passe l’historique, mais en gros, depuis 1963, les progrès ont été phénoménaux. Sur la puissance, le volume sonore, les traitements de son, les haut-parleurs etc. On est passé de la préhistoire à « Retour vers le futur » en 40 ans. A l’heure actuelle l'espècehumaine dispose objectivement de tous les moyens susceptibles de retranscrire de façon très correcte (pour ne pas dire optimale) le fameux « tone » que le guitariste sur scène, oui-là-bas-un-peu-loin, délivre avec fougue et conviction. Ce fameux « tone » qui fait la différence.
Eh bien malgré tout ça, le son dans les concerts est, dans 90% des cas (ou neuf fois sur dix si vous chipotez) calamiteux.
Eh oui, et depuis maintenant 25 ans que je vais voir des concerts amplifiés (comme on dit au Ministère de la Culture) je trouve même que ça empire. Ce qui est donc un comble. Tout ce qui est matériel permet de rendre le « tone » originel au public d’une manière très correcte, mais rien n’y fait.
Attention, je parle de salles bien équipées et de capacité raisonnable (disons, pas plus gros qu’un Summum ou un Zenith). Pour ce qui est des festivals et autres réunions messianiques de type « Stade de France », on peut pas s’attendre à des miracles, faut pas déconner. Parce qu’entre l’auditeur coincé au premier rang, suffoquant comme un bœuf et recouvert du vomi du mec bourré du deuxième rang (les mecs bourrés sont toujours au deuxième rang) et tonton Jean-Pierre qui est tout au fond du stade parce qu’il a accompagné le petit dernier, il y a tellement d’espace et de distorsions possibles du son (piliers, pilons, distance, vent, mon cul, leurs culs, mes couilles, leurs couilles etc.) que tu peux rien espérer de génial.
On ne demande pas à l’ingénieur du son le don d’ubiquité lui permettant de se mettre à la place de CHAQUE spectateur . Et ça ne lui servirait à rien car il ne peut pas délivrer un son spécifique à chaque spectateur. On place donc notre ami ingé-son à l’endroit en général le mieux placé pour se donner la meilleur idée d’ensemble, et il doit faire avec. Il y a quelques génies comme l’ingénieur du son live de AIR ou RADIOHEAD qui peuvent te faire un son de chaîne hi-fi dans la moiteur de Benicassim et de ses 25 00 spectateurs, mais, par définition, les ingé-son de cette trempe ne courent pas les rues. Et les groupes qu’ils sonorisent sont pas des brêles non plus.
Mais je m’égare.
Dans les salles françaises « de taille humaine » (à savoir pour moi de 100 à 2500 spectateurs) il est tout à fait POSSIBLE d’avoir un rendu du « tone » très acceptable. C’est possible car on/je/ils les savent par expérience. Ça se lit pas sur le papier ou le plans de la salle.
Eh bien donc, malgré tout, très souvent, trop souvent, vous pouvez vous accrocher pour déceler un quelconque « tone ». Voire un quelconque « note ».
Depuis que l’ingé-son a des joujous par milliers (de megawatts) il s’en donne à cœur joie.
Son but n’est plus de rendre le son et le « tone » optimaux, mais de te montrer comment il peut faire rugir se putain de gros système de son à t’en faire péter les oreilles, voire le bide.
J’ai déjà vécu des trucs surréalistes, comme vous sans aucun doute.
Genre un folkeux seul sur scène (le truc pas compliqué hein) avec une guitare et sa voix.
Ben des fois t’entends rien. Ni la gratte, ni la voix.
Pourtant l’ingé-son il a 3498734 compresseurs, 9083094234 watts, 90438049389048 machins et bidules (limiteurs, compresseurs, gates, circuits, etc.etc.). Le truc c’est qu’il a UN gros caca dans les oreilles. Il peut te faire passer un concert de musique hawaienne-ukulele pour du dub parce que comme il y a POSSIBILITÉ d’avoir des basses de PORC, eh bien il met les basses à fond. Mais pas que les basses, hein.
Il met TOUT à fond.
Si tu OSES (toi le non-initié) signaler que « euhhhh mais là on entend rien DU TOUT ? on comprend rien ! » tu vas te faire bouler à base d’explications aussi nébuleuses que celle prouvant la conspiration reptilienne.
On va se faire une conversations type pour s'amuser un peu.
Attention, ne vous amusez pas VOUS PROFANES à parler à l’ingé-son. Moi je peux parce que j’en connais quelques uns, en croise souvent, et que je m’immisce dans leur intimité de temps en temps. Rien de sexuel je vous rassure.
On va se faire ça sur le concert du folkeux tout seul avec sa voix et sa gratte. C'est un bon exemple, car c’est le MINIMUM de chez MINIMUM.
On y va.
Le concert a commencé depuis ¼ d’heure, et tu comprends toujours rien à rien niveau sonore.
Tu files à la console le signaler à l'ingé son, car tu penses légitimement que tout le monde en a marre d'entendre le décollage sans fin d'une fusée Ariane, et que ça colle pas entre les images et le son.
Il faut imaginer cette conversation HURLÉE, bien sur, vu le niveau sonore ambiant dans la salle.
TOI/MOI : « Euh sa gratte là on l’entend pas, c’est bizarre c’est tout pâteux on comprend rien »
INGE-SON : « AHAHAHAHA ! ouais mais attends sa gratte elle a des micros fantômes ZT534 qui repissent dans les retours du LE400 parce que le patch de D.I. peut pas supporter le hors-phases donc je peux pas non plus faire des miracles ! Ici c'est pas équipé DBX et j'ai les rappels qui vont flanger dans le modulator.»
MOI/TOI : « oui mais déjà si tu mets pas aussi fort qu’un Boeing747 quand il fait un petit arpège tout doux …mmm ??? »
INGE SON (qui te coupe la parole) : « non mais oublie ! Le système son est mal paramétré ici, j’ai les subs qui transvasent dans les poutrelles du compresseur à cause du limiteur PK45 réinjecté à travers l'oscillateur du double signal, et en 8 ohms ça foutrait la merde. »
MOI/TOI : « m’enfin t’as bien un bouton de VOLUME sur la tranche de la guitare !?!? Si tu baissais un peu ça permettrait déjà d’entendre un peu la voix du type non ? Passque là ça fait 15 mn qu’on voit juste bouger sa bouche quoi … »
INGE-SON : «Ah non si je baisse la gratte les mediums du SM58 qui sont trop glitchy vont repisser dans sa rosace surtout que le grill de scène est vachement bas et qu’il pleut en Languedoc-Roussillon. Résultat le passe-bande va me faire un peak et mes presets vont sauter ! ».
MOI/TOI : » et si tu baissais juste un peu tout déjà ? Passque là on est à 20 cm l’un de l’autre et on se parle avec un megaphone alors que le gars chante un slow …»
INGE-SON : « AHAHA mais t’es fou toi !!!! Avec l’écho statique des plug-ins de la DI qui surchauffe sur la 24 on va partir en larsen inversé qui va me foutre un hors-phase fantôme dans le circuit des lumières. J'ai pas envie d'avoir les boomers qui partent en flèche dans le cut-off ! »
MOI/TOI : « Bon, je file au bar me prendre un bière. »
INGE-SON : «Ramène m'en deux ! »
Le pire c’est que au bout d’un moment, l’ingé-son s’emmerde (il préfère Marcel et son Orchestre et c'est même pas une gonzesse qui chante ce soir ...). Alors de-ci de-là il te case du delay sur la voix, du chorus sur la guitare, bref il se prend pour Lee Perry.
Alors que ni toi ni moi ni surtout l’artiste sur scène n’a rien demandé de tel.
Mais bon, c’est qui l’chef hein ?!?!
Et après avoir fait mumuse un moment, il s’ennuie encore, et siffle sa 15ème bière. La console de mixage devient un peu floue. Le son, qui l’était déjà, part dans des dimensions parallèle que seul l’ingé-son semble comprendre, contemplant son travail (travail oui car accessoirement, c’est souvent un des seuls à être payé quand c’est des petites salles) d’un air ravi.
T’étais venu voir Neil Young avec sa gratte, tu repars avec l’impression d’avoir écouté du grind-dub-roumain-post-moderne. Et personne ne moufte. Limite, des fois, en sortant, t’as des mecs au comptoir qui y vont de leur« putain y avait vraiment un putain de son d’enfer !!! C'était vachement crémeux dans les mediums en plus !»
Bon en même temps eux ils ont payé. Donc ils se persuadent comme ils peuvent que c’était très bien.
Quand tu passes au groupe de rock « traditionnel » (une batterie, une basse, deux grattes, un chant) alors là tu atteints des sommets que le GF 38 n’est pas près d’atteindre.
Des concerts entiers sans caisse claire en façade, ou sans chant, ou sans basse, mais avec toujours un PUTAIN DE GROS SON bien lourd où tu comprends rien.
« Eh-oh on fait du rock hein, alors on met surtout FORT et très lourd pour avoir l’air bien virils ».
Si t’étais pas venu écouter un test de la CIA sur le « son qui tue » mais que t’étais bêtement venu écouter un groupe avec des instruments qui font des chansons en jouant ensemble, passe ton chemin. Et essaye pas de comprendre, c’est trop compliqué.
Enfin non, une chose est très simple : c’est JAMAIS la faute de l’ingé-son.
C’est soit le matos, soit les musiciens, soit les deux. Jamais la sienne.
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Ceci dit quelques trucs et astuces :
- Pour être dans le coup ne dit pas « ingénieur du son » mais « ingé-son ».
Ca montre que tu es de la partie. Car l’ingé son aime pas trop les novices qui y connaissent rien (certains ont été vendeurs de guitare, ça doit venir de là).
- Ne dis pas « technicien » et encore moins « techos ».
Tu risque de prendre sa mag-lite (édition limité « Brise Glace ») dans la face. Le terme « techos », garde le pour les « lighteux » (l’ingénieur lumière, paria tout désigné qui est à l’ingénieur du son ce que le Belge est au Français)
- Reconnaître l’ingé-son dans la salle où tu arrives et assez simple (et bienvenu car si il sent le respect tu as gagnés quelques heures de négociations sur un tournage de potard un peu plus tard)
En général, l’ingé-son est habillé tout en noir (le lighteux est plus « zazou » et coloré, osant même parfois une boule en bois dans son bouc) et porte 9 fois sur 10 un t-shirt du Brice- Glace (salle annecienne, cf. l’image du début) . On sait pas trop pourquoi. Peut-être pour pas oublier le logo « frigo » qui indique où sont les bières qu’il va taper au groupe ?
Autres astuces pour le reconnaître : il ne peut pas se séparer de son Leatherman (ou "crampe") ni de sa Mag-Lite. Si il les perd, c’est comme si Rahan perdait ses cheveux et tu peux oublier ton concert.
En fait j’en rajouterais au fur et à mesure des commentaires (s'il y en a) car j’arrive pas à finir ce post et ça me gonfle.
A vous !