12 janv. 2014

La république a gagné


« La République a gagné ? » nous dit Emmanuel Valls.

Il a fallu en appeler a Conseil D'Etat.
Rien que ça.
A quand l'ONU ?

Je m'inquiète du silence assourdissant de tous les politiques et de tous les humoristes et de tous les artistes, concernant l'interdiction du spectacle de Dieudonné.
Pas du silence sur "le devant de la scène" et sur le spectacle, ce qui serait dit dedans etc., non-non, ça c'est bon, comme vous j'en ai bouffé, merci ça va. 
Et puis vu que maintenant Dieudonné n'est pas vraiment en bonne posture ("un genou à terre" pour reprendre ses termes), ça coûte pas cher de lui tomber dessus et d'en remettre couche sur couche,  à la Nicolas Bedos et à la Stéphane Guillon, qui pensent ainsi trouver une opportunité de paraitre pertinents et courageux en plus d'être drôles. Alors qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre. Plus triste, et là ça fait chier, même Poelvoorde s'y met.
Il devrait recommencer à picoler, et à se rappeler de l'esclandre médiatique qu'avait déclenché le film qui l'a rendu célèbre (et dont, finalement, on se demande ce qu'il a fait depuis à part "Les convoyeurs attendent").


Passons, ce qui m'intéresse dans cette histoire de Dieudonné, ce sont les interdictions. Je ne parle pas du fond, et des enfantillages humorisitco-journalistiques évoqués en introduction.
Simplement de la forme, des principes et du droit. Etant donné qu'en République, ce sont les choses les plus importantes, celles qui la définissent.

Ces interdictions, donc, vont faire jurisprudence.
Ainsi, tout spectacle (humoristique ou artistique) qui choquera « quelqu'un » (une communauté, un groupe religieux, une race, un groupe d'intérêts etc.) pourra bientôt être interdit. Il lui suffira de brandir la menace d'un trouble à l'ordre public. Qu'il ait lieu ou pas, ce qui est encore plus fort.
Les spectacles comme ceux qui avaient choqué quelques intégristes catholiques à Paris il y a peu seront donc interdits, car il suffira à quelques excité de brandir cette menace.
Un spectacle un peu « olé olé » avec des lesbiennes-gay-bi-trans  qui retournent des croix (ou un concert de Cobra, tiens) se verra banni de la place publique via des Catholiquess intégristes. Une réunion de ces mêmes catholiques intégristes qui diront tout le mal qu'ils pensent des ces mêmes gay-bi-trans se verra interdire par les LGBT. Des mormons créationistes seront baillonés par des partisans d'extrême-gauche.
Quelqu'un voudra remettre en cause la pensée des extrêmistes salafistes ? Ceux-ci argueront directement d'un possible trouble à l'ordre public pour que la parole soit baillonée. 
Etc. etc.
Vous pouvez imaginer toute les combinaisons possibles et inimaginables (c'est d'ailleurs à ça que sert le droit: gérer le particulier par du général).
Et ce sera donc une victoire ?
Pour qui ?

Il n'y aura plus que des spectacles ou des réunions de Bisounours qui ne dénonceront rien ni personne, ne dérangeront rien ni personne, ne soulèveront aucune problème et aucune passion.
Et tout sera dans l'ordre des choses molles et mortes. Parce qu'on ne veut pas comprendre que le cadre formel de la démocratie n'implique pas une vie simplement formelle. La société est faite de dissensions, des désaccords, et des luttes. Si on empêche de les laisser s'exprimer (tant qu'il n'y a pas d'appel à la violence directe donc dans le respect d'un droit qui existe déjà et n'avait pas besoin de toute cette plaisanterie) on court à la catastrophe, car le feu qui couve sous la marmite risque bien de la faire exploser.
Mais en France on ne veut pas laisser les gens décider par eux-même si quelque chose est acceptable ou pas, on estime que c'est le rôle de l'Etat.
Le Royaume-Uni, qui aux dernières nouvelles n'est pas une dictature, ne laisse-t-elle pas s'exprimer, en pleine rue, et encadrés par des bobbies des gens aux propos bien plus violents, proférant parfois des attaques ad hominem ? Combien de fois des intégristes islamistes ont il tenu des manifestations publiques appelant à renverser le pouvoir, la Reine i tutti quanti ? Aux USA (qu'on aime tant décrier) il y a des ignares créationistes et suprémacistes; qui prônent en public et en toute tranquilité la suprématie des races, donc. Idée qui m'est étrangère à tel point que je ne juge même pas opportun de m'arrêter sur le fond.  Allez donc voir le tragique Craig Cobb qui peut dire publiquement, entre autres joyeusetés qu'il veut créer des villes d'où les noir seront interdits. Ca se fait à la télévision, ils sont interviewés par des journalistes. L'Etat ne s'en mêle pas. Et personne ne va donc inventer un trouble potentiel (c'est merveilleux cette notion) à l'ordre public avant même qu'il n'arrive. Parenthèse : le trouble à l'ordre public qui a été monté comme étendard de l'interdiction, on l'attend encore, mais passons.
Là-bas, dans les pays anglo-saxons, on les laisse faire. On se dit que les gens sont peut-être assez intelligents pour faire leur choix et leur avis tout seul. Mais ça en France, c'est trop demander, et viendra peut-être un jour où on nous inoculera ce qu'il faut penser par prescription de l'Etat.
Comme il est courant chez nos amis journalistes de faire des comparaisons « avec nos voisins européens » je m'étonne qu'aucun journaliste ne signale que ce qui est présenté comme Le Danger de la République et le Pire des Maux que la France ait connu depuis 50 ans, ne ferait pas deux vaguelettes dans les média anglais, et à juste titre.


Quand en 2010, Rayhana, une femme de théâtre algérienne qui défend la condition féminine, s'est fait agressé à Belleville par des excités intégristes gravitant autour de la mosquée Omar, qui ne supportaient pas sa pièce, ils ont non seulement porté atteinte à l'ordre public mais aussi à une personne. Elle a quand même été aspergée de White Spirit et on lui a jeté un mégot incandescent au visage pour tenter, en vain, de l'enflammer.
Là aussi, il y a eu comme un silence assourdissant de l'Etat, et pour le coup, juste deux vaguelettes dans les média. Ca n'a pas excité grand-monde.
Aujourd'hui, ces même agresseurs n'auront qu'à manifester devant la salle du théâtre, ou même simplement annoncer qu'ils le feront pour que la pièce ne puisse pas être jouée. Et même avant que la pièce soit jouée. Ce sera "préventif".
Et là aussi « La République aura gagné » ?!?

Le manque de prise de hauteur sur des sujets aussi graves, en en restant au fait divers et à la petite polémique au lieu de réfléchir aux questions de droit et à tout ce qu'elles impliquent me désespère au plus haut point.
Ca gesticule, ça s'invective... Nicolas Bedos s'est trouvé une cause qui ne coûte pas cher et peut enfoncer des portes ouvertes avec un sourire satisfait. Mais personne ne se pose la question de savoir si ces décisions de droit sont dangereuses ou pas une fois que cet épisode médiatique sera passé. Parce que le droit restera, lui. Nicolas Bedos et Dieudonné, c'est moins sûr, et ça ne m'intéresse pas de le savoir; car ça, ce n'est pas un problème.
Vous allez dire que je vois le mal partout mais il n'a échappé à personne que tout ce cirque permet aussi (et surtout ?) d'occuper les esprits à d'autres choses qu'aux choses qui fâchent au quotidien la majorité de citoyens français. Et comme il y a des municipales bientôt, bon, ça peut aider à penser à autre chose. Et sinon l'affaire Dassault, tout ça, bon bein résultat ça fait beaucoup moins d'esclandre. Et Cahuzac, on en est où sinon ? Eh oh c'est bon, on a le droit de taquiner un peu ...
Des litanies enflammées de nos politiques et de nombreux "journalistes" sur la "République en danger"... Journalistes dont le métier est donc non pas d'informer ou d'analyser de façon critique mais de donner des leçons de morale et de politique ex abrupto dont on ne comprend parfois pas bien les fondements.
Des sujets de fond, ce n'est pas ça qui manque. Mais on les voit pas beaucoup dans les grand-messes des journaux télévisés (bon en même temps j'ai plus de télé depuis 2009 mais je suppose que rien n'a changé, c'est aussi pareil à la radio que j'écoute beaucoup plus). Et quand ils sont abordés, ils ne sont jamais étayés, et de toutes façons "synthétisés" en 2 mn parce qu'il faut aller vite au sujet brulant de l'accident d'autocar de Pelmouc-sur-Buzen ... Pourtant les gens seraient ravis d'en savoir plus sur la façon dont (au hasard) fonctionne l'industrie pharmaceutique, comment sont régulées (ou pas) les ententes entre opérateurs téléphoniques, les problèmes structurels dans les écoles et l'éducation en général, la question du fonctionnement des concessions autoroutières, des syndics de copropriété, les écarts de salaire entre les hommes et les femmes etc.etc. 
Ou, en parlant de "République en danger", de la façon dont la dette est gérée, et comment les Etats ont prêté de l'argent pour renflouer les banques après la crise des subprimes, pour que ces même banques reprêtent ensuite de l'argent aux Etats, mais avec un taux d'intérêt multiplié par cinq .... alors que nombre d'Etats sont au bord de la faillite. Ce qui pour le coup est un danger bien réel, et bien pressant. 
Bien sûr, si on s'intéresse à ça, on me rétorquera qu'on peut toujours fouiller par soi-même. Certes.

Ca ne m'empêche pas de penser qu'on peut attendre plus de journalistes bardés de leur carte de presse que des marronniers creux sur les cadeaux de Noël revendus sur ebay, ou des sujets hautement aussi inoffensifs que l'agonie de Choumacheure au CHU de Grenoble.

J'imagine ces gens lorsqu'ils étaient jeunes, l'oeil vif et la mèche pleine d'entrain.
"Je serai journaliste, je ferai des scoops, je dévoilerai des choses cachées ou secrètes, je parlerai de ce qui travaille la société, des rapports entre les hommes, des conflits, je serai même peut-être Grand reporter et je serai au front des guerres du monde."
Et puis finalement ...
"Je mange des kebabs sur le parking du CHU de Grenoble, il pleut et je me pèle le cul en attendant un éventuel communiqué d'un médecin, que je relirai in extenso avec mon joli micro, filmé devant le bâtiment. Avec mon pote cameraman, et mon pote preneur de son. Bon les gars, y en a marre des kebabs, ce soir on va au restau ou quoi ?"

Alors que la reprise d'une dépêche AFP faite dans un bureau aurait suffit. Mais non, il faut un journaliste filmé devant l'endroit en question, comme si ça apportait quoi que ce soit au problème (qui n'en est déjà pas un, en plus).
Mais je m'égare. Pas tellement puisque avant d'être un problème de droit, on a malheureusement vu que toute cette question est aussi un grosse question médiatique.

Contre toutes les envolées stupides (qui en fera le plus contre Dieudonné ?) je n'ai trouvé que peu de gens "publics" ayant un point de vue censé sur le sujet : Alexandre Astier et Bruno Gaccio. Je vous invite à visionner cette entrevue de Gaccio (en date du 9, soit période circulaire, avant l'arrêt du Conseil d'Etat) du qui finalement résume assez bien le fond de ma pensée, vous la trouverez en bas de ce billet.
Il y exprime une position sur la liberté d'expression qu'aurait pu soutenir un Voltaire (dont ne suis pas plus fan que ça dans l'absolu, ceci dit), un Voltaire qui repose au Panthéon de la République, mais dont par contre les propos foncièrement et méchament antisémites sont consultables et achetables dans toute bonne librairie et bibliothèque. Donc si nos responsables politiques avaient une vraie ligne de conduite et des principes qui ne changent pas en fonction du sens du vent, ils devraient dire (à tort) : interdisons l'accès et la publication de tels propos (qui vont environ mille fois plus loin que ce que peut dire un Dieudonné, soit dit en passant). 
Au cas où vous ayez la flemme de cliquer sur le lien, voici un extrait choisi :
"Vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent."
(Dictionnaire philosophique, 1769, 
éd. Moland, 1875, t. 19, chap. Article "Juifs", p. 524)

Ca pue, ça craint. 
Mais pourtant je suis pour que ceci puisse être lu, publié, débattu, contredit.
C'est un principe. Soit il est absolu, soit il n'est pas.

"La République en danger" ... Calmons-nous, on croirait entendre Maximilien en 1793.
Là, messieurs il s'agit d'une interdiction d'un spectacle de Dieudonné. De lycéens qu'on accuse d'Apologie de Crime Contre l'Humanité et qu'on met en garde à vue pour avoir fait le geste de la fameuse "préparation culinaire en forme de boulette de forme généralement allongée, à base de différents ingrédients, typique dans la cuisine traditionnelle de plusieurs régions françaises".
Il faudrait voir à respirer un peu par le nez. Et au lieu de procéder à des excommunications politiques, médiatiques, et juridiques, essayer de voir plus loin que le bout de son nez (entendez : les municipales ou "mon futur politique à moi que j'ai").
Finalement, s'il y a quelque chose de 1793 qui met la République en danger, ce n'est pas le danger que voit (et entretient à dessein) Emmanuel Valls.

"La République a gagné".
Je me demande bien quoi.
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VIDEO interview Gaccio (allez à 3'45'' pour le sujet évoqué ici )



VIDEO interview Astier
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3 commentaires:

  1. merci vous exprimez très bien ce que je pense et je regrette que les médias ne passent pas plus souvent des opposant aux décisions de m Valls

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  2. Je suis entièrement d'accord avec toi Seb, seulement je nuancerais un peu au niveau des journalistes, ils ne sont pas forcément libres de faire les articles qu'ils souhaitent. mais on peut taper sur les médias, oui. http://www.scam.fr/Portals/0/Contenus/documents/Dossiers/2013/DPenquete_journalistesnov2013.pdf

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